J’avais conclu mon bulletin sur la finale perdue de 1967 ainsi : « de cette finale, il ne me reste pas grand-chose si ce n’est une caricature de CATROUY, dédicacée par les finalistes de 1967 qui ont porté fièrement les couleurs du damier bleu et blanc ». André CATROUY, caricaturiste discret, a rendu compte de toute l’épopée sportive du C.A. Béglais.
Jean Max André CATROUY, dit André CATROUY, est né le 29 avril 1895 à BÈGLES (ndlr : un bon point déjà !). Très jeune, il crayonnait déjà les adultes qui passaient à domicile. C’était au début du XXème siècle. Selon lui, le déclic est arrivé en 1916, lors de la « Grande Guerre » où il caricature de pittoresques soldats australiens, pour passer le temps dans cette guerre de tranchées…
Cette fantaisie passagère du fantassin poilu va progressivement s’affirmer et aller à la mine. Au style fantassin, il préfère le style cavalier. Pourtant, au sortir de la guerre, il est recruté comme chef-comptable dans une raffinerie d’AMBÈS. Rien de bien fantaisiste ! Les coups de crayon dans les marges des registres de comptabilité égayent les bilans financiers et autres bilans de ces grands livres caissiers. Une multitude de petits personnages, joufflus et rondouillards, prennent ainsi corps dans les quadrillages rétrécis, au débit comme au crédit.
Éternel athlète, il s’est essayé avec bonheur au saut en longueur, mais aussi à la gymnastique, au football, à l’aviron, à la pelote basque et, plus tard, au vélo… En revanche, il n’a jamais pratiqué le rugby. Et pourtant, c’est sur les bords d’un terrain de rugby qu’a commencé sa vocation professionnelle. Un dimanche de 1928, lors d’un match du C.A. Béglais, il se plait à caricaturer le capitaine du club, le grand SALDOU et son impétueux demi-de-mêlée, SOURGENS. Des noms connus, du côté de Musard, de père en fils… Puis, suivirent LAFOURCADE, ou encore SOULÉ et les frères BONNEAU, tous aussi connus… Dans les années 1930, joueurs joufflus, entraineurs ventrus et présidents costumés, sont tous passés sous la mine du crayon de CATROUY. Des traits mal esquissés que l’artiste a souvent raturés sur son carnet. Au fil des ans, le coup de crayon s’est affirmé pour aboutir, au final, à des portraits ressemblants en forme de clins d’œil. Grands corps et petits bonhommes sont pris sur le vif : nez aquilins ou busqués, menton en galoche, front bas ou dégarni, cou allongé, oreilles décollées, fessiers rebondis ou rotules sous genouillère… Comme toutes les caricatures, les siennes étaient comme des traits d’introversion qui capturaient, amplifiaient ou exagéraient certains détails morphologiques tout en traduisant, de façon humoristique, le caractère des intéressés. N’en déplaise à ces personnes, la caricature était souvent chargée d’aspects ridicules ou déplaisants. Portrait à charge ou divertissement humoristique ? En tout cas, on y retrouvait une jubilation émotionnelle de l’exagération… CATROUY s’attachera à toutes ces hexis corporelles pour donner à sa physiognomonique un rôle principal. Cependant, ces transgressions qui pouvaient bousculer la bienséance dont il était pourtant pourvu, étaient toutes imprégnées d’une immense gentillesse, sortie tout droit de son crayon, échappant à toute mesquinerie ou toute méchanceté. Le corps était le principal objet de la caricature, surtout le visage dont la déformation voulait révéler les états d’âme et les dessous du personnage. CATROUY et ses personnages à tête de citrouille !
La presse a usé largement de ses reproductions typographiques. CATROUY a illustré les chroniques sportives au journal l’AUTO (l’ancêtre de L’EQUIPE), puis à la PETITE GIRONDE, à SUD-OUEST ou encore à SUD-OUEST Dimanche. Son métier a été celui d’un journaliste-dessinateur qui commente l’actualité sportive. Il s’est concentré sur le sport et ne s’est que très peu hasardé, à ma connaissance, sur le terrain politique. Il va suivre les sportifs en tous genres, du plus glorieux au parfait inconnu, sur tous les terrains, de l’hôtel jusqu’au stade pour bien s’en imprégner. Virtuosité de la main et poésie du crayon, à la puissante métaphore, ont produit un volume et un rythme qui ont donné vie à la caricature. En soulignant les corpulences ou les finesses désinvoltes, de façon un peu « bébête », CATROUY a caressé la réalité : un rugby qui rit ! Portraits individuels ou défilés d’équipes : ils allaient tous de l’avant… et lui derrière ! Il a rendu le rugby plus joli et plus sympathique : « quand le crayon sait dessiner, le dessin commence à bouger » disait Maxime LE FORESTIER dans une de ses chansons.
L’histoire du C.A. Béglais s’est accompagnée des dessins de CATROUY, comme un témoin privilégié de l’évolution du club de rugby. En 1930, il croque l’équipe championne de Côte d’Argent. En 1949, il met l’équipe première sur la route du Championnat de France en regroupant les Avants dans une jeep tractant la remorque des Arrières. Au début des années 1960, il crayonne la bande des JAMEAU, JOANDET, DENJEAN brothers & Cie… Vous le savez, il avait esquissé les vice-champions de 1967. Enfin, pour le journal « Sud-Ouest », pour la finale du 18 mai 1969, il avait caricaturé les 15 copains du CAB, face au Stade Toulousain, séparés par le Bouclier de Brennus. Il n’aura pas vu le sacre de la tortue et je me plais à deviner comment il aurait croqué la bande des « Rapetou ». On l’a vu musarder dans les travées de Musard, vieil homme coiffé d’un béret, errant discret et anonyme, qui avait conservé sa démarche souple d’athlète. On peut penser qu’il observait, avec une grande acuité, tout un chacun de son œil avisé et malicieux…
Un matin de décembre 1979, passé les fêtes de Noël, tombe une bien triste nouvelle. André CATROUY décède à PAU, à l’aube de ses 86 ans. Sa vie s’est passée au crayon : il a caricaturé pendant 43 ans et réalisé plus de 8.000 dessins. Autant de portraits, mais il manquera à jamais un seul… le sien !
message du 21 mars 2021 – JYB/K’nar